Les 100 valeurs « Les valeurs démocratiques et
Les 100 valeurs
« Les valeurs démocratiques et laïques, nous dit-on, sont en crise ». Ceux qui précisément nient ces valeurs, maquilleraient « leurs intentions réelles en utilisant de façon biaisée les armes…de l’argumentation ». Aussi, pour faire face aux « dérives » auxquelles nous sommes exposés, « tous les membres de la communauté universitaire pourront suivre une formation spécifique à l’argumentation, de manière à se sentir mieux ‘outillés’ pour prendre part à des débats, dans la sphère publique comme dans les cercles privés »[1].
Est-il étonnant que cet appel à serrer les rangs autour « de valeurs » ait conduit bon nombre de membres de la communauté universitaire bruxelloise à se sentir enrégimentés ? Et à s’interroger sur cette nécessité proclamée, non seulement à l’université, mais en Belgique francophone comme en France, d’avoir à se mobiliser autour des valeurs de la laïcité pour faire face aux menaces d’un monde perçu désormais comme hostile aux laïques que nous sommes ?
La soudaine découverte de la crise de la laïcité ne dissimule-t-elle pas en réalité l’écart entre ce que signifie à présent la laïcité dans une société moderne et métissée et ce à quoi on voudrait la réduire ? Les « ultras de la laïcité »[2] n’ont de cesse de décliner sur le mode laïque le discours bien connu du déclin. Il faudrait en somme défendre notre laïcité contre les nouveaux barbares. Les menaces qui pèsent sur un ensemble de progrès réalisés, en particulier en matière d’égalité hommes/femmes, de sexualité et de mœurs sont attribuées en grande partie à l’Islam. Si bien que la stigmatisation de pratiques dissimule, dans bien des cas, l’aversion à l’égard de nouvelles diversités culturelles et religieuses.
Ainsi, d’une part l’interdiction d’une conférence de Tariq Ramadan à l’ULB et d’autre part l’invitation de Caroline Fourest et Philippe Val comme conférenciers par les autorités de cette même université, ainsi que l’organisation d’un concours de caricatures ont donné une image agressive de la laïcité et focalisé le débat sur la question de l’Islam. L’amalgame établi entre les diverses formes d’islamisme (de celui du Premier ministre turc Erdogan à …Al Qaida), et entre Islamisme et Islam s’inscrivent dans un contexte de stigmatisation et d’assignation identitaire à l’égard de populations issues de l’immigration. Et cela alors que les jeunes issus de l’immigration marocaine et turque, dont une petite minorité commence à accéder à l’enseignement supérieur et universitaire, sont, plus souvent que les autres, confrontés à l’échec scolaire, au chômage et à la précarité.
Pour avoir manqué d’attention vis-à-vis de ces problèmes, les autorités de l’ULB n’ont pas échappé au piège qui consiste à réduire les questions sociales et scolaires en questions identitaires, au risque d’embrayer une dynamique où les « pour » et les « contre » se renforcent réciproquement. Les jeunes issus de l’immigration ont été perçus comme des agresseurs, alors même qu’ils forment la fraction la plus fragilisée de la population étudiante. Cette stigmatisation relève d’une véritable « rhétorique du retournement », inversant [3] la relation entre la victime et l’agresseur.
Il est vrai que la radicalisation autour des valeurs religieuses ne se limite pas à l’Islam. L’église catholique sous le pontificat de Benoît XVI renoue avec « l’intransigeantisme » romain du XIXème siècle. Elle retrouve ses accents les plus conservateurs pour reformuler ses « valeurs ». Lorsque l’évêque Léonard critique l’usage du préservatif, dénonce les lois libéralisant l’avortement, l’euthanasie, le mariage des homosexuels ou la simplification des procédures de divorce, il s’insère dans le courant conservateur de l’église qui veut prôner ses « valeurs » et, lorsque c’est possible, requérir l’autorité de la science pour les imposer à tous. Doit-on revenir à reculons, à un siècle de distance, au combat contre les « laïcistes » pour les uns et contre les « cléricaux » pour les autres ? Est-ce la raison pour laquelle les deux parties s’entendent à dénoncer ce qu’elles appellent les tendances « relativistes » ?
Le libre examen ne devrait-il pas au contraire nous permettre de prendre des distances avec les jugements a priori et de créer un espace de liberté autorisant chacun à parcourir un chemin qui lui permette de s’émanciper des tutelles ? Dans une société plurielle, la défense de la laïcité conduit à la poursuite d’objectifs non seulement différents mais parfois aussi divergents. En effet, un accord sur les principes ne signifie en rien la convergence de leur mise en œuvre. C’est précisément en raison de cette complexité que nous ne pouvons nous contenter d’invoquer des grands principes, ni d’ajouter de l’idéologie à la confusion. Ne devrions-nous pas tenter à l’inverse ce difficile exercice qui consiste à séparer les raisonnements des fantasmes qui très souvent en tiennent lieu ?
C’est dans cette perspective que nous voulons créer les conditions d’un débat qui, tout en privilégiant la controverse s’interdit l’anathème et la diabolisation de l’interlocuteur. Nous voulons stimuler par notre démarche un espace d’argumentation multiple. La première initiative que nous vous proposons, conjointement avec les cercles du Libre examen et des Etudiants arabo-européens, a été élaborée autour des questions « de la catégorisation à l'exclusion ». Nous avons d’ores et déjà programmé deux conférences débat à l’ULB sur le thème « du repli majoritaire? ».
Le repli majoritaire?
1-Le jeudi 26 avril 2007 à 20h00, Auditoire Lameere
"De la question sociale à la question raciale", par Éric Fassin, sociologue, Ecole normale supérieure.
et"Eux et Nous", par Joël Roman, philosophe, membre du Comité de rédaction de la revue Esprit
2- Le mardi 8 mai 2007 à 20h00, Auditoire 2215 H
"L’éthnicisation des discours sur l’immigration", par Gérard Noiriel, historien, directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales.
Une laïcité ouverte dans une société moderne permet de réfléchir au sens d’une objection aux valeurs. Elle est ensuite un engagement en faveur d’une société qui organise précisément le pluralisme dans un espace démocratique. C’est en raison de notre refus de nous définir par un « nous » communautaire essentialiste, même laïque, et parce que nous ne pouvons transiger sur la liberté d’expression, à moins qu’il ne s’agisse d’incitation à la haine, que s’est constitué le collectif des « 100 valeurs ».
Les signataires :
Alaluf Mateo
Bribosia Emmanuelle
Chichah Souhail
Corten 0livier
Defise Antoine
Dubuisson François
Grégoire Jean-Claude
Jacobs Dirk
Jespers Jean-Jacques
Lacroix Justine
Lagrou Pieter
Legrand Vincent
Licata Laurent
Luffin Xavier
Magnette Paul
Merlin Aude
Moriau Jacques
Ouali Nouria
Pieret Julien
Rea Andrea
Rosier Jean-Maurice
Rosier Laurence
Schaus Annemie
Stengers Isabelle
Stroobants Marcelle
Tojerow Ilan
Tolley Cédric
Trussart Nathalie
Van Raemdonck Dan
Vandermotten Christian
Vanrie Pierre
Vermeiren Dominique
Vogel Jean
[1] Voir notamment à ce sujet, Ulb Info, Magazine mensuel du personnel de l’ULB, « Au cœur de nos valeurs », mars 2007.
[2] C’est par ce qualificatif que le journal français Le Monde (7/4/2007) désigne Caroline Fourest (récemment invitée par les autorités de l’ULB) et son site « Pro-Choix ».
[3] Selon les termes utilisés par Gérard NOIRIEL, Immigration, antisémitisme et racisme en France, Fayard, Paris, 2007.